L’économie sociale et solidaire n’est-elle qu’un modèle économique complémentaire de l’économie classique, voire même une économie de la réparation comme on le dit parfois? Ou porte-t-elle en elle le germe d’une transformation sociale et politique originale et singulière ? La rencontre proposée par le Pôle solidaire 21 de Dijon, dans le cadre du mois de l’ESS, a tracé quelques pistes de réponses. Premier volet avec le témoignage de Laurent, du garage solidaire Cric & Co de Dijon.

Laurent de Cric & Co : « Un projet de transition citoyenne »
Crédit Photo Cric&Co

Les modèles traditionnels d’évaluation sont-ils pertinents pour rendre compte avec finesse du travail réalisé par les acteurs de l’ESS ? Pas sûr à écouter le témoignage de Laurent, l’un des fondateurs du garage participatif et solidaire installé à la MJC des Bourroches à Dijon. Bien sûr, la mécanique reste une activité classique, mais les buts poursuivis vont bien au-delà de l’atelier de réparation. Chez Cric & Co  on parle prise de conscience, impact environnemental, mobilités alternatives, choix de mobilité, formation, accompagnement, économie, démocratie, transition.

«  Je suis issu de la réparation automobile, j’y ai passé 17 ans à m’interroger sur la façon dont elle était abordée. De fil en aiguille, j’ai voulu mettre en cohérence mes compétences techniques et mon éthique personnelle, qui était remise fortement en cause. J’ai rencontré des gens de différents horizons, ingénieurs agronomes, associatifs, dans des cercles où l’on partage les mêmes valeurs, les Colibris, le film Demain, Alternatiba. On a pensé que l’automobile pouvait être un outil intéressant pour ouvrir le cercle, aller au contact de gens très éloignés de l’économie sociale et solidaire et des préoccupations de mobilité.

On a fait des constats sur la mobilité urbaine. A Dijon, les habitants parcourent un million de km par jour mais 40 % d’entre eux font des trajets de moins de 2 km, et de surcroit souvent seuls dans leur voiture, avec un impact environnemental très important. Cela poussait à creuser la question de la consommation, du rapport à l’automobile.

Nous avons concrétisé le projet en montant l’association Cric & Co, il y a maintenant 2 ans. Il s’agit d’un projet de transition citoyenne, d’éveil, de sensibilisation dans lequel la voiture n’est qu’un support. Utiliser l’outil qu’est l’automobile pour générer de la mixité sociale, parler de mobilité mais aussi d’économie, de démocratie, de consommation, d’environnement. Et nous avons bâti des activités autour de ces thématiques.

Co-réparation et mixité sociale

Nous ne sommes pas un garage où l’on dépose sa voiture pour la récupérer quand elle est réparée. Plutôt un lieu dans lequel on va participer à la réparation : c’est en faisant ensemble que des personnes différentes vont se rencontrer autour d’un projet. On va pouvoir échanger des compétences techniques, sociales, amener à prendre conscience de l’impact environnemental, de l’impact économique de l’automobile sur son propre budget.

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Crédit Photo Cric&Co

Mobilité et transition citoyenne

On s’adresse aux adhérents en réflexion sur leur mobilité au quotidien, pour leur proposer un projet qui ne soit plus le « tout voiture ». Quelles décisions vont-ils prendre dans leur quotidien, pour un déplacement de 500 mètres ou un déplacement de 2 km ? D’un point de vue environnemental, économique, la voiture est-elle le moyen de transport le plus pertinent ?

Quand on touche à la mobilité on touche à la distance habitat-travail, à la façon de consommer. Le travail engagé est donc un peu celui d’un éveil des consciences, d’amener à réfléchir et à engager une transition personnelle en matière de mobilité. Si les choix de mobilité se portent quand même sur la voiture, nous proposons un accompagnement vers l’acquisition un véhicule sain à moins de 2.000 euros et vers plus de sobriété.

Droits, devoirs et lois de l’économie

Nous formons sur tout ce qui touche l’automobile et son environnement. Le contrôle technique, l’assurance automobile. C’est un environnement extrêmement complexe, avec beaucoup de droits et devoirs. Ces questions permettent de parler démocratie, économie. Un dernier volet d’activité consiste d’ailleurs à prodiguer du conseil en lien avec l’automobile.

PHOTO CRIC AND CO
Crédit Photo Cric & Co

Modèle économique et fonctionnement démocratique

Lorsque nous avons été accompagnés par le Pôle d’économie solidaire 21, nous avions identifié deux points cruciaux pour la viabilité du projet. Faire que les adhérents s’impliquent dans le projet associatif et tendre très rapidement vers l’autonomie financière.

Au départ, nous avons eu beaucoup de demandes de personnes qui venaient au garage dans une logique de consommation. Nous avons alors mis en place un parcours de découverte de l’association qui fonctionne très bien. Quand une personne vient nous voir, on lui présente l’association, on recueille son besoin. On lui donne des documents qui résument notre gouvernance – collégiale avec 8 coprésidents – et notre fonctionnement, avec des groupes de travail par thématique, des ateliers auxquels participent les adhérents. On finit par un entretien, qui permet de voir si des choses ne sont pas comprises, d’énoncer des principes et des valeurs, de s’engager sur une charte.

Cela permet aussi de découvrir ce qu’on peut apporter sur l’automobile. On fait un bilan complet de la voiture, sur une dizaine d’heures. Comment l’adhérent l’utilise, pour pouvoir lui parler mobilité. On fait aussi un essai routier, qui est l’occasion notamment d’aborder les espaces partagés sur la voie publique.

Prix libre et autonomie financière

Les adhérents expérimentent le prix libre, la participation consciente. On fait beaucoup de pédagogie là-dessus. On aborde la question de consommer un service en fonction de ce qu’on a reçu, de toutes les ressources qui ont été mises en œuvre, de ce que cela nous a apporté. Quelle valeur on donne à cela ? Cette logique permet aussi de pondérer selon les ressources, ce qui  rend le service accessible au plus grand nombre.

Nous sommes ouverts seulement 3 jours par semaine, mais nous avons créé et nous autofinançons deux postes, le mien sur un parcours emploi-compétences – je prépare un parcours d’éducateur technique en VAE – l’autre est un poste d’apprenti tenu par une jeune femme qui se forme à la mécanique. Notre souhait est de mettre en œuvre toutes les conditions pour être en autonomie financière sur deux CDI dans un an ou deux. Et sans changer de modèle économique.